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LES CONSTITUANTES DE 1946 par Alain Roudier

En débarquant le 6 juin 1944, les armées alliées qui pensaient découvrir un pays privé de gouvernement et d’administration trouvent des autorités régulières installées clandestinement par le gouvernement provisoire de la République présidé par le général de Gaulle, en collaboration (et parfois en conflit) avec le Conseil National de la Résistance.

Celui-ci a été fondé le 14 mai 1943 par l’unification de la résistance et son rattachement à la    France combattante. Il regroupe huit mouvements de la résistance, les six principaux partis politiques (Fédération républicaine, Alliance démocratique, parti radical et radical-socialiste, parti socialiste, parti communiste) et est présidé par Jean Moulin. Mais le même homme ne peut, à la fois, diriger la résistance intérieure et représenter, auprès d’elle, comme commissaire en mission, le Comité Français de Libération Nationale. Aussi, après la disparition tragique de Jean Moulin, un délégué général est désigné (Emile Bollaert), par le gouvernement d’Alger et Georges Bidault est élu président.

Par un phénomène de dédoublement politique, le peuple français s’est progressivement détaché des autorités de Vichy, disposant de la légalité formelle, pour accepter la direction morale, puis matérielle des autorités extérieures ou clandestines représentant la légitimité républicaine survivante.

Ainsi, l’insurrection nationale qui accélère ou accompagne la retraite de l’occupant allemand n’aura pas à créer un nouveau gouvernement. « Elle exerce le pouvoir pour le compte d’un gouvernement déjà existant ». Ce sont les commissaires de la République nommés les préfets désignés, les municipalités constituées par les instances compétentes de la résistance qui occupent les fonctions qui leur avaient été imparties.

Les commissaires deviennent ministres et l’assemblée consultative (créée en novembre 1943 par le CFLN) est élargie pour donner une place prépondérante aux résistants et accueillir les prisonniers et déportés libérés. Le CNR, frustré à son sens de représenter la Nation jusqu’aux élections, y est entièrement intégré. Jules Jeanneney, président du Sénat en 1940 devient vice-président du Conseil. Mais Léon Blum, Edouard Herriot et Louis Marin refusent de participer au gouvernement.

En effet, outre qu’il avait annulé « l’acte constitutionnel du 10 juillet 1940 » (du Maréchal Pétain), le gouvernement provisoire avait précisé qu’il ne voulait pas revenir à la Constitution de 1875. L’Ordonnance du 9 août 1944 rétablit la « légalité », mais non la « constitution » républicaine. Seule, se trouve affirmée la survivance du principe de la République. Pour les institutions, l’ordonnance du 12 août 1944 (modifiant celle du 21 avril 1944) déclare que « le peuple français en décidera souverainement…A cet effet, une assemblée constituante sera convoquée ».

Convocation de la Constituante et référendum du 21 octobre 1945

Selon la doctrine et la tradition républicaine, c’est par une Constituante que le peuple doit exprimer sa volonté quant au régime destiné à remplacer les institutions abolies par une révolution ou un coup d’Etat (Cf. 1792, 1848, 1871).

Obstacles : la continuation de la guerre, objection juridique de la constitution de 1875, appréhensions par rapport aux exemples précités, méfiance à l’égard d’une assemblée unique et souveraine, crainte que l’Assemblée constituante soit davantage séduite par sa tâche gouvernante et législative que par sa mission constituante.

De Gaulle veut un référendum initial. Il veut limiter la constituante en lui imposant une distinction des pouvoirs, en lui fixant des délais, et en soumettant son œuvre au jugement du peuple.

Le 21 octobre 1945, le corps électoral (accru par le vote des femmes et des militaires) désigne à la proportionnelle ses élus et, par ailleurs, répond à deux questions :

  1. Voulez-vous que l’assemblée élue ce jour soit constituante ?
  2. Si le corps électoral a répondu « oui » à la première question, approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusqu’à la mise en vigueur de la nouvelle constitution, organisés conformément aux dispositions du projet de loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics (figurant au verso du bulletin) ?

Donc, trois solutions :

  • Pour la Constitution de 1875, en répondant « non » à la 1ère question ; (le « non » obtint 670 000 voix  et le « oui » 18 584 746 voix)
  • Pour la Constituante illimitée, en répondant « non » à la 2ème question ; (seulement 6 446 206 non contre 12 794 943 oui)
  • Pour la Constituante limitée, en répondant « oui » aux 2 questions. (l’emporte donc avec plus de 12 millions de « oui »)

Le PCF était contre le retour à la IIIème République et pour une Constituante illimitée. Le résultat a été obtenu grâce aux gaullistes, la SFIO et le MRP.

La Constituante comportait trois groupes principaux (3/4 des SE) : le groupe communiste, 1er parti de France avec 159 membres, le groupe MRP avec 150 membres et le groupe socialiste SFIO avec 139 membres. Il y avait 4 groupes secondaires.

 

La « petite Constitution » du 2 novembre 1945

La Constituante est limitée ; elle établit une distinction des pouvoirs (exécutif pour le gouvernement, législatif pour l’Assemblée) au profit du gouvernement. (L’Assemblée nomme le chef du gouvernement ; la responsabilité du gouvernement devant l’assemblée est encadrée et limitée). Ce régime est ambigu : aussi bien gouvernement d’assemblée que régime parlementaire. Le PCF et les socialistes, majoritaires absolus à la Constituante aspirent à une assemblée souveraine.

 

Le départ du général de Gaulle et la crise de janvier 1946

Le conflit constitutionnel sous-jacent dès la formation du gouvernement éclate avec les débats budgétaires et, notamment, à propos des crédits militaires. Après une controverse juridique constitutionnelle, le désaccord entre la majorité parlementaire et de Gaulle conduit à la démission de celui-ci le 20 janvier 1946. (il est remplacé par Félix Gouin).

 

Le projet de Constitution du 19 avril 1946

Ce texte propose d'établir un régime parlementaire monocaméral avec une assemblée unique élue au suffrage universel direct pour 5 ans.

Le Sénat est remplacé par deux organes consultatifs, le Conseil économique et le Conseil de l'Union Française.

L'exécutif est divisé entre un président et le président du Conseil. Le président aurait été élu par l'Assemblée, disposant de pouvoirs honorifiques. Le président du Conseil est également élu par l'Assemblée, et doit faire approuver la composition et le programme de son cabinet ministériel par un vote d'investiture.

L'Assemblée nationale est donc très puissante et il y a un risque de dérive vers un régime d'assemblée. Sa dissolution existe, mais elle est extrêmement réglementée, dans les hypothèses où « au cours d'une même session annuelle, deux crises ministérielles surviennent », une crise ministérielle étant alors définie par une réponse négative à une question de confiance ou par l'adoption d'une motion de censure.

Le renversement d'un cabinet est aussi strictement réglementé, en exigeant la majorité absolue des députés composant l'Assemblée, et non la majorité absolue des membres présents.

Enfin, au-delà de la partie organisation des pouvoirs publics, le texte prévoit une déclaration des droits qui s'écarte de manière importante de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Ce texte, critiqué par le MRP et la droite, est voté par les députés le 19 avril 1946 (la majorité comprend les socialistes, les communistes et leurs apparentés), puis rejeté par référendum le 5 mai 1946 à 53 % des votants.

 

 La seconde Constituante

Elle est élue le 2 juin 1946. Les résultats ne diffèrent pas sensiblement de ceux du 21 octobre. (3 grands groupes : MRP avec 165 élus ; PCF avec 151 élus ; socialistes unifiés avec 128 élus). Il faut, donc, comme pour la première constituante, l’entente de deux partis pour réunir une majorité constituante. Socialistes et communistes ont une majorité trop faible pour maintenir le projet du 19 avril, mais suffisante pour qu’on ne s’en écarte pas trop.

Le rapporteur de la commission, laquelle est partagée entre les partisans du oui et du non est Paul Coste-Floret ; il fait, parfois brillamment un travail difficile de compromis.

 

Les prises de position du général de Gaulle : le discours de Bayeux et la déclaration du 27 août 1946

Ces interventions détruisent l’accord à peine ébauché et renversent des positions déjà prises. De Gaulle ébauche, à Bayeux, le 16 juin, la constitution qu’il souhaite pour la France (indépendance du gouvernement, importance d’une seconde Chambre). Le 27 août, il critique la Constitution de l’Union française pour laquelle il souhaite une structure fédérale.

Conséquences : le compromis André Philip-P. Coste-Floret est trop en deçà pour être adopté ; les communistes, pourtant s’y rallient, les petits groupes (UDSR, indépendants et paysans) rejoignent les radicaux dans l’opposition, le MRP a la tâche ingrate de rapprocher le projet des vues du général de Gaulle, sans rompre, pour autant, avec les socialistes.

 

L’adoption par l’Assemblée et par le peuple

Le MRP se retrouve le plus souvent dans la minorité. Après plusieurs crises, la rupture est évitée grâce à des interventions de Vincent Auriol et d’Alexandre Varenne et malgré des critiques du général de Gaulle. Finalement, le MRP obtient quelques retouches de même que les socialistes et le texte (fondé sur la notion de souveraineté populaire, selon P. Coste-Floret) est adopté par l’Assemblée le 29 septembre par 440 voix (communistes, socialistes, républicains populaires) contre 106 (UDSR, radicaux-socialistes, indépendants et paysans). Le général de Gaulle déclare : « c’est non, franchement non ».

Préconisé par les partis associés au gouvernement et pour le vote constituant,  le « oui » aurait dû obtenir près de 15 millions de voix, lors du référendum ; il n’en réunit, le 13 octobre, que 9,3 millions contre 8,16 millions de « non ». Dès ses origines, la IVème République est marquée du signe de la précarité.

Son action restera surtout marquée par l’application du programme du CNR  très empreint de rénovation sociale et qui suivait des principes communistes (économie planifiée). Ce document comprenait notamment des « mesures à appliquer dès la Libération du territoire », sorte de programme de gouvernement qui prévoyait à la fois des mesures visant à réduire la mainmise des collaborationnistes sur le pays et des mesures à beaucoup plus long terme.

La Constitution de 1946 s'ouvre par un préambule enrichissant la Déclaration des droits de l'homme de 1789, affirmant de nouveaux droits constitutionnels, principalement économiques et sociaux.

Il donne valeur constitutionnelle à des principes considérés comme « particulièrement nécessaires à notre temps » :

  • l'égalité homme-femme,
  • le droit d'asile,
  • le droit et la liberté syndicale,
  • le droit de grève,
  • le droit à l'emploi,
  • la non-discrimination dans le travail,
  • le droit de participation à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.

 

Parmi les mesures appliquées à la Libération, on peut citer la nationalisation de l'énergie (création d’Électricité de France en 1946), des assurances (AGF en 1945) et des banques (Crédit lyonnais en 1945, Société générale en 1946), la création de la Sécurité sociale[]. Ces actions ont constitué jusqu'à aujourd'hui la majeure partie des acquis sociaux de la seconde partie du XXe siècle.

 

ALAIN ROUDIER

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le 26 January 2016

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