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DECHEANCE de NATIONALITE > révision constitutionnelle - Intervention de Pierre Laurent au Sénat

Débat au Sénat sur la révision constitutionnelle Intervention de Pierre Laurent – 16 mars

Seul le prononcé fait foi.

 

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président, Cher-e-s collègues,

Si le groupe CRC vous demande aujourd'hui de voter la question préalable qu'il a déposée, c'est qu'il est grand temps de mettre un terme à ce sinistre débat sur la révision constitutionnelle qui n'a cessé, depuis quatre mois, d’abîmer la France et ses valeurs.

Quatre mois perdus à tenter de justifier un projet de révision constitutionnelle dont l'efficacité face aux menaces terroristes n'a cessé d'être contestée par les voix les plus illustres et les plus diverses, et dont la angerosité pour nos libertés fondamentales a été amplement démontrée.

Quatre mois au cours desquels la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, qui s'est auto-saisie du projet de révision constitutionnelle puisque le gouvernement n'avait pas daigné l'en saisir, a rendu le 18 février dernier un avis unanime pour, recommander, je cite « l'abandon pur et simple de la révision constitutionnelle ». Cet abandon nous vous demandons aujourd'hui de le voter pour sauver l'honneur de la République. N'oublions pas l'appel de Madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira à propos de la déchéance : « Souhaitons que la gauche n'ait pas à assumer d'avoir inscrit dans la Constitution une marque pareille. »

Quatre mois qui n'ont servi qu'à une chose : élargir le champ de manœuvres propice à toutes les confusions, tous les amalgames sur la nature des menaces et les moyens de les combattre, laissant toujours plus de place aux discours de haine qui foulent au pied les valeurs fondamentales autour desquelles nous devrions au contraire unir et rassembler Français et citoyens du monde.

Oui, mes chers collègues, revenons au plus vite au seul débat qui vaille : comment protéger les Français face aux menaces qui ont frappé notre pays en 2015 ? Comment agir dans le monde pour stopper l'engrenage des guerres qui nourrissent  les logiques assassines ? Et stoppons cette machine à broyer nos principes de liberté, d'égalité et de fraternité que constituent la constitutionnalisation de l'état d'urgence et de la déchéance de la nationalité.

Souvenons-nous de Marine Le Pen déjà après les attaques perpétrées par Mohamed Merah : « combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d'immigrés ? », « combien de Mohamed Merah parmi les enfants de ces immigrés non assimilés ? », Ici même lui répondait mon collègue et ami Jack Ralite par ces mots : « la peur s'est installée ou plutôt la peur a été installée et comme disait Francklin Roosevelt : ''la seule chose dont nous devons avoir peur, c'est de la peur elle-même'' ».

Ne cédons pas à l'idéologie de la peur et revenons au débat pour la protection de notre droit indissociable à la sûreté et à la liberté.

Oui, ne cédons pas à la peur et à la haine qui viennent de sortir des urnes en Allemagne, ou qui viennent de libérer lundi soir dans les travées d'un amphithéâtre de l'université de Paris-Dauphine un  flot nauséabond fait d'amalgames et de rejets parce que la Mairie de Paris a décidé d'installer dans cet arrondissement de 170 000 habitants un centre d'hébergement d'urgence provisoire pour 200 personnes sans abri, dans cet arrondissement qui n'en compte aucun.

Oui, sortons au plus vite de ces dangereux chemins de traverse qui vous conduisent à vous disputer sur cette lugubre alternative : la déchéance pour tous qui ouvre la voie à l'apatridie, ou la déchéance raciste pour les seuls binationaux.

L'année 2015 a été terrible. Nous avons subi sur le territoire français des attaques terroristes.   Nous avons tous perdu un ami, un proche, une connaissance. Nous sommes tous concernés. Ces attaques frappent beaucoup d'autres pays, et nous pensons à toutes ces victimes à travers le monde. Mais nous pensons plus que jamais que le projet de révision constitutionnelle ne constitue en rien la réponse adaptée, bien au contraire.

Avec l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution, en plus de l'article 16 et des dispositions de l'article 36 sur l'état de siège. La France serait l'un des seuls pays à étendre à ce point les pouvoirs exceptionnels du Président de la République, l'un des seuls dont la Constitution inclurait trois régimes d'exception dérogatoires aux libertés fondamentales.

Ce qui est visé, quoi que vous en disiez, c'est bien le recours possible à un état d'urgence permanent. Le vote de la loi renseignements,  la révision avancée du Code de procédure pénale, la révision de notre doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national, confirmée ici même hier par le ministre de la Défense, complètent la mise en place d'une nouvelle doctrine sécuritaire qui dessine un Patriot Act à la française, à l'opposé des assurances que vous donniez à la représentation nationale au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. Vous vous êtes ralliés à ce que vous prétendiez refuser.

La constitutionnalisation envisagée n'est pas la sécurisation juridique que vous prétendez. Elle consacre le recul des protections judiciaires de nos libertés.

De ce point de vue, l'évolution des dispositions prévues sur la déchéance de nationalité nous inquiètent au plus haut point.  Outre leur caractère évidemment totalement inefficace en matière de lutte contre le terrorisme, elles entachent gravement notre loi fondamentale.

Alors que les dispositions légales relatives à la nationalité ne figurent pas dans la Constitution, et qu'elles relèvent des articles 17 à 33 du Code civil qui précisent les différentes façons d'accéder à la nationalité française, de la perdre ou d'en être déchu, la nationalité entrerait donc dans la Constitution par la porte de sortie honteuse de la déchéance.  Quel triste symbole pour tous ceux qui aiment la France !

Quant à étendre la possibilité de déchéance à un délit « constituant une atteinte grave à la vie de la nation » est grave. L'historien Patrick Weil  a alerté à plusieurs reprises : « Étendre une sanction aussi grave à de simples délits, catégorie la plus vaste de notre droit pénal qui englobe notamment les délits d’opinion, c’est ouvrir la porte à ce qu’un jour, pour des raisons d’opinion politique, syndicale ou de divergence d’idées avec un pouvoir autoritaire, un Français puisse être déchu de sa nationalité ».

Quant à la déchéance pour les seuls binationaux, elle est indigne. Elle n'est que le masque d'un discours xénophobe, maniant l'amalgame entre terroriste et musulman.

N'oublions pas les paroles du poète algérien Kateb Yacine : « A force de parler de Mohamed qui fut prophète, on oublie le Mohamed chômeur, le Mohamed sans logement, le Mohamed sans abri, le Mohamed sans travail et des milliers de Mohamed qui vivent comme des esclaves sous des régimes qui se réclament du prophète Mohamed ».

Plutôt que d'alimenter la chronique haineuse des boucs-émissaires.

Parlons plutôt des moyens humains à donner au service public de protection des Français.

Parlons de nos responsabilités dans la recherche de la paix.

Parlons comme vient de le faire Daniel Pennac : « des victimes de guerre. D'hommes et de femmes, d'enfants, qu'on bombarde, qu'on fusille, qu'on torture, qu'on terrorise, qu'on affame, dont on a détruit les villes, dont on a brûlé les maisons, qui ont déjà perdu un père, un frère, des parents, des amis. Nous devons parler des rescapés qui fuient sur des routes qui ne sont même plus des routes, pour sauver leurs vies qui ne sont presque plus des vies. Ce sont de ces gens-là que nous devons parler, n'est-ce pas ?  De ces gens dont nous pourrions faire partie, qui pourraient être moi, toi, vous, nous. Mais qui sont eux. »

Que fait la France dans l'Union européenne face à la crise humanitaire sans précédent ? Le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Grèce, l’Allemagne déploient des moyens sans commune mesure avec nous pour accueillir des millions de réfugiés. Que fait la France ? Où est notre voix ?

Permettez-moi de conclure de citer le poète palestinien Ashraf Fayad, mis à l'honneur à Paris ces jours-ci, en ce printemps des poètes :

« On dit que tu as bon espoir  /  de réussir à voler  /  et de défier le trône  /  d’abroger les ablutions de la nuée».

Nous serions bien inspirés d'écouter la voix du poète  Ashraf Fayad dont la peine vient d'être commuée, en Arabie Saoudite, de la condamnation à mort à une peine de 8 ans de prison et de 800 coups de fouet pour « apostasie », plutôt que celle du prince saoudien récemment décoré à Paris.

Oui, nous avons bon espoir que cette révision constitutionnelle soit abandonnée car elle n'apporte aucune protection ou solution aux habitants et visiteurs de la France.

Nous avons besoin d'être à la hauteur des enjeux, d'avoir une vision pour la France. Les sénatrices et sénateurs communistes pensent qu'il y a une autre alternative que la déchéance de nationalité ou la mise en place de l'état d'urgence dans la constitution. Pour que les nuées se dispersent à jamais.

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le 16 mars 2016

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